
Il s’agit de ce très beau dessin de Clouet dont on trouve une variante au musée Condé à Chantilly (ci-contre).
Selon Zerner, il n'y pas lieu de douter de l'inscription identifiant le personnage placée en haut à droite sur le dessin : "Monsr Dorleans filz du roi François". Le problème est que ce titre peut aussi bien désigner Henri que son frère cadet Charles. A la mort du dauphin François en 1536, Henri alors duc d’Orléans était devenu dauphin et Charles alors duc d’Angoulême était devenu duc d’Orléans. Lequel de ces deux princes, le dessin de la BnF représente t–il ?
Ce qui fait douter Mr Zerner de l’identification traditionnelle, c'est que la ressemblance du jeune homme avec la physionomie d’Henri II n’est pas évidente. Le dessin de la BnF présente un nez busqué qu'on ne retrouve pas sur les autres portraits du roi. De plus, le personnage paraît un peu âgé pour représenter Henri qui cessa d’être duc d’Orléans à l'âge de 17 ans. Pour Zerner le dessin de la BnF représenterait donc Charles d’Orléans.
L’hypothèse est intéressante mais manque de preuves pour être définitivement acceptée.
Il existe un document qui permet d’apporter un éclairage primordial sur la question. C’est le folio 99v du livre d’heures de Catherine de Médicis (ci-contre). . On y retrouve le portrait du duc d’Orléans aux côtés de trois autres personnes apparentées à la famille royale. L’identification des ces trois autres personnages peut permettre, au moyen de la déduction, d'identifier le nom de la personne cachée sous ce fameux duc d’Orléans.
Il est aujourd'hui acquis que le personnage central de la miniature soit le dauphin François et que le personnage de droite soit le duc de Savoie Emmanuel-Philibert époux de Marguerite de France. En revanche, le petit garçon représenté au premier plan n’a jamais fait l’objet d’une identification assurée.
Permettez-moi de présenter ici trois hypothèses ; elles sont essentielles quant à la réflexion sur le dessin duc d’Orléans :
L’hypothèse traditionnellement admise :
Puisque les personnages représentent les fils et le gendre de François Ier, on a estimé par déduction que le petit garçon représenté au premier plan du folio est Charles d’Orléans. Le problème c'est que le portrait de la miniature ne renvoie à aucun dessin connu de lui. En outre, pourquoi l’avoir représenté enfant alors qu’il existe des portraits de lui plus âgé et que ses frères sont représentés adultes ?
C'est finalement Henri Zerner qui apporte à cette énigme la solution la plus vraisemblable.
L’hypothèse d’Henri Zerner :
Pour lui, le petit garçon serait Charles-Emmanuel de Savoie, le fils unique d’Emmanuel-Philibert et la comparaison physionomique des portraits semble lui donner raison. Il existe à la galeria Sabauda de Turin, un tableau du prince réalisé vers 1570 et qui présente la même tête que le petit garçon du livre d'heures (ci-contre).
La présence du petit prince de Savoie dans le livre d’heures de sa tante n’est pas étonnante. Catherine de Médicis et Marguerite de France étaient particulièrement proches. Catherine n’était pas uniquement la belle-sœur de Marguerite mais aussi son amie intime. Les deux femmes étaient inséparables. On prétend toujours que Catherine de Médicis était une femme de pouvoir qui se mêlait de tout, mais rien n’était plus vrai qu’en ce qui concernait le mariage et la vie conjugale de sa belle-sœur. A sa décharge, Catherine avait un droit de regard en tant que reine et gouvernante de France. La paix en Europe s’était construite sur ce mariage. Du fait des guerres d’Italie encore récentes, les enjeux diplomatiques étaient considérables et Catherine de Médicis attendait la naissance d’un héritier savoyard avec beaucoup d’impatience.
Hélas on ne peut pas s’empêcher de déplorer au regard de l’histoire la présence de Charles-Emmanuel et de son père dans le livre d’heures de Catherine. Quelle ironie du sort pour elle qui a toujours cherché à cultiver l’amitié des princes de Savoie alors que ces derniers n’ont jamais cessé de se moquer des Valois, de les salir et de profiter des guerres de religion pour grignoter des petits bouts du royaume de France. Catherine de Médicis avait beau être clairvoyante, sa vision hyper sacrée de la famille l'avait bien aveuglé quant aux sentiments francophobes de la maison de Savoie.
J’espère que vous me pardonnerez ce petit intermède qui permet de resituer le contexte familial et politique dans lequel le livre d'heures a été conçu ; je reviens donc sur notre dessin et sur l’hypothèse formulée par Henri Zerner à l’occasion du colloque de 1997. Puisque Charles n’est pas le petit garçon représenté au premier plan de la miniature, ce serait lui qui serait représenté à gauche dans les traits de ce fameux Mons Dorleans.
Zerner en conclut donc que le dessin de la BnF représente Charles et non le futur Henri II.
C’est ici que je me permets d’intervenir. Charles d’Orléans est bien présent dans le livre d’heures de Catherine de Médicis mais sur un autre folio (ci-contre). La base de données de la BnF identifie le personnage représenté au folio 209 comme étant François d'Alençon. Il s'agit en réalité de la reprise d'un portrait de Charles d'Orléans peint par Corneille de Lyon et se trouvant aujourd’hui au musée des Offices.
Charles d’Orléans peut-il être représenté deux fois dans le livre d’heures de Catherine ? On peut en douter. On peut donc considérer que le portrait du duc d’Orléans représente bel et bien le futur Henri II.
Conclusion
Le dessin de la BnF représentant le duc d’Orléans peut aussi bien représenter Henri et Charles, respectivement le deuxième et troisième fils de François Ier. Toutefois au vue des différents personnages représentés dans le livre d’heures de la reine Catherine, l’hypothèse traditionnelle qui voit en lui le futur Henri II reste encore vraisemblable.
Dans le catalogue consacré au Clouet, Alexandra Zvereva avait elle-même repris l'identification traditionnelle. Elle ajoute concernant le livre d’heures de Catherine, qu’en choisissant ce portrait, la reine aurait voulu avoir avec elle l'image de son époux tel qu'il était à l’époque de leur mariage2.
C'est enfin un portrait qui doit être mis en relation avec le portrait équestre de la Menil collection dont l'existence apporte un argument supplémentaire à l'identification traditionnelle.
Notes
Mais la comparaison avec le portrait de Charles-Emmanuel enfant est absolument décisive. Je connaissais ce portrait de Turin et je m'en veux de n'avoir pas fait moi-même le rapprochement plus tôt...
En revanche, il est littéralement impossible d'admettre l'hypothèse selon laquelle le personnage en jaune du livre d'heures serait Charles d'Orléans.
Le fait qu'il apparaisse déjà ailleurs dans le livre d'heures est certes déjà un argument, mais pas forcément très probant. A ce qu'il me semble, Claude de Valois par exemple apparaît bien deux fois, une fois seule, et une fois avec son mari. Non?
Seulement c'est pour le coup vraiment la comparaison des traits qui empêche absolument cette identification. Si l'on peut avouer qu'effectivement, l'identification du dessin de la BNF avec Henri est susceptible d'un léger doute, car oui le nez est un peu busqué pour Henri et le personnage semble avoir un peu plus de 17 ans, alors que dire d'une identification avec Charles? Pour le coup il n'y a absolument pas la moindre ressemblance.
Si le personnage en jaune du livre d'heures et celui du dessin de la BNF représentent Henri, tout au plus peut-on dire que le dessinateur a un peu trop accentué la courbe du nez, voilà tout.
Mais reprocher un défaut de ressemblance avec Henri pour aboutir à une identification avec Charles, ce serait une plaisanterie : dans un cas, sourcils horizontaux, nez busqué, yeux fendus en amande, bouche fine... Dans l'autre, sourcils très arqués, nez charnu voire un peu retroussé, yeux ronds et bouche pulpeuse. Il n'y a strictement aucun point de contact...
L'identification traditionnelle reste et de très loin la plus convaincante...