Henri III - Etienne Dumonstier
Portrait du roi en miniature conservé au musée des Offices de Florence
Source de l'image : Polo museale florentino (Florence, musée des Offices)
Ce très beau portrait marque le point de départ d'une nouvelle iconographie. L'image du prince mondain est abandonnée au profit d'une figure beaucoup plus sobre. Le changement de style est radical. Au lieu de la grande fraise en dentelle, le roi porte autour du cou un petit col rabattu ; son habit noir ne présente ni crevés, ni galons dorés apparents ; la poitrine n'est ornée que par le collier de l'ordre du Saint-Esprit que le roi a fondé en 1578.
A partir de cette date et jusqu'à sa mort en 1589, cette nouvelle iconographie sera la seule autorisée par le roi. A l'exception de quelques variantes, il n'y aura pas d'autres modèles, seulement la réactualisation régulière de celui-ci.
Sur l'estampe éditée en 1580 par Jean Rabel (gravée par Thomas de Leu), le roi arbore encore un col rabattu très étroit (image ci-contre). Du point de vue de la mode, cette forme correspond au début du règne. Car au fur et à mesure des années, la tendance vestimentaire pousse les pointes du col à se déployer en pointe sur les côtés. Vers 1600, le déploiement sera tel que le col s'étendra au-dessus des épaules. De fait, il est possible de dater les portraits en fonction de la taille et la forme du rabat. Sur les exemples présentés ci-contre, les portraits présentent des rabats encore très discrets.
L'oeuvre de Rabel a été reproduite plusieurs fois. D'après Isabelle Hanquet 1, elle serait la reproduction d'une peinture aujourd'hui perdue qui servait de pendant à un portrait de la reine Louise. Le lien avec la miniature des Offices ci-dessus reste à établir. Malgré quelques différences, les deux images sont très proches.
Comme le rappellent les historiens, ce type d'oeuvre d'art est une image officielle, c'est-à-dire que c'est l'image que le roi veut qu'on ait de lui, et ici, l'intention est de montrer l'image d'un roi administrateur, d'un chef d'état.
Avant qu'il ne devienne un article de mode, et ne prenne des formes excentriques, le col rabattu est un marqueur de sobriété et de gravité. Sur les portraits du troisième quart du XVIe siècle, les gentilhommes de la cour portent principalement la fraise. Sous Charles IX, le col blanc ne se remarquait que sur les portraits des religieux, des hommes de lettres ou de science (cette tendance s'inversera sous le règne d'Henri III). Mais ici, le roi n'apparaît plus comme un prince mondain, ni comme un roi de guerre (il n'est pas représenté en armure comme nombre de ses contemporains). Il apparaît comme un "homme de bureau", ce qu'Henri III était assurément au quotidien. Contrairement à d'autres qui préferaient le grand air et la chasse, Henri III était un homme d'intérieur, autant soucieux de gouverner l'Etat que de l'organisation des modes de gouvernement et de ses représentations (notamment par l'organisation d'une étiquette très stricte).
Cette nouvelle image du roi apparaît à une époque de restauration de l'autorité monarchique. Après trois années de règne plutôt calamiteuses, le jeune roi cherche à redorer son blason. Avec les états généraux de 1576 et la sixième guerre de religion, Henri III parvient à imposer une paix suffisamment stable pour réformer son administration, et affermir son pouvoir. Cette nouvelle image s'inscrit dans cette politique de reconquête de souveraineté.
Le portrait a été utilisé dans de nombreuses gravures ornées dans le pur style Renaissance, avec un cadre illustré de motifs foisonnants et souvent symboliques (images ci-contre et ci-dessous).
Voir également « Thomas de Leu et le portrait français de la fin du XVIe siècle»,, in Gazette de beaux-arts, octobre 1961 et Alexandra Zvereva, « Il n’y a rien qui touche guères le cœur des simples personnes que les effigies de leurs princes et seigneurs ” : la genèse du portrait de Henri III », in Isabelle de Conihout, Jean-François Maillard et Guy Poirier (dir.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris, PUPS, 2006, pp. 56-65.
Source des images : (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; Gallica ; Gallica ; (Londres, British Library) ; Gallica ; Gallica ; (New York, Metropolitan Museum of Art, 1588) ; Gallica
Source des images : Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; Gallica
Portrait au crayon d'Henri III aujourd'hui conservé au musée Condé de Chantilly et attribué par l'historienne Alexandra Zvereva au peintre Etienne Dumonstier 2
Source de l'image : Plateforme Ouverte au Patrimoine ou Agence photographique de la Rmn (localisation : Chantilly, musée Condé)
Le dessin n'est pas sans rappeler la miniature de Florence vue précédemment. La différence se situe principalement au niveau du rabat qui est, sur le dessin, plus large et déployé. Du point de vue de la mode, c'est la forme qui s'impose dans les années 1580.
Il est donc fort probable que ce dessin ne soit que la réactualisation du modèle précédent. Ceci expliquerait notamment pourquoi les cheveux sont moins développés sur ce dessin. Les portraits de jeunesse d'Henri III présentent toujours une coiffure soignée et surelévée au-dessus du front ; ce n'est plus le cas dans ce modèle-là. Le dessin présente un roi plus âgé.
Par ailleurs, la particularité de ce portrait est que le roi porte un pendant d'oreille qui a la forme de la lettre grecque λ (lambda) qui correspond à la lettre L en alphabet latin.
Cette forme curieuse est supposée être une marque d'estime envers la reine Louise de Lorraine que le roi aimait sincèrement. Selon la thèse d'Isabelle Haquet, rien n'interdit de penser que le roi ait donné à ce pendant d'oreille un deuxième sens, qui serait caché et compréhensible uniquement des initiés. Comme son grand-père François Ier, et nombre de ses contemporains, Henri III était pétris d'ésotérisme chrétien ; le lambda serait ici le symbole du Logos, le Verbe divin, donc le Christ, que le roi, en bon chrétien, entendait incarner sur terre en devenant le réceptacle de l'Esprit Saint3. L'image du roi est donc celle d'un "roi-Dieu". Isabelle Haquet va plus loin encore en proposant d'interpréter chaque détail du portrait comme un symbole : la broche au diamant placée au centre de la toque serait la marque scintillante de la divinité incarnée ; la plume disposée autour de cette broche serait le symbole du feu du Saint-Esprit ; les trois aigrettes qui s'élèvent au-dessus de la toque rappellent la Trinité, etc.
La thèse est fort séduisante, car on sait qu'en plus, d'avoir un goût certain pour la spiritualité, le roi avait l'esprit philosophe. Dans la continuité de la politique de ses prédécesseurs, Henri III protégeait les intellectuels en décalage avec leur temps comme Giordano Bruno.
Il ne semble pas exister de peinture connue qui reprend le dessin de Chantilly avec exactitude. L'original peint par Dumonstier semble perdu ; seules des copies ou des variantes subsistent. Et il en existe un certain nombre. La diffusion de l'image royale dans les années 1580 est à l'origine d'une production très importante de portraits.
Je vous en propose une gamme ci-dessous. Certains d'entre eux sont des copies tardives d'époque Henri IV ou Louis XIII. Ils sont reproduits de château en château dans les galeries de portraits. Il faut alors les prendre pour ce qu'ils sont, à savoir des interprétations parfois fort éloignées du modèle initial (la copie d'une copie).
Ces reproductions sont si nombreuses qu'il s'en vend de temps en temps dans les maisons de vente aux enchères.
Les plus fidèles reproduisent le pendant en forme de lettre λ (1ère ligne de portrait ci-dessous). Elles sont probablement les plus contemporaines du dessin original. Les autres, moins talentueux dans la reproduction des détails, font sauter le pendant.
Source de l'image : Christie's (vente du 2 avril 2003 à New York)
Source des images (1ère ligne) : (Florence, palais Pitti) ; Agence photographique de la Rmn (Versailles, musée du château) ; Wikimedia commons (Cracovie, Château du Wavel) ; La Gazette Drouot (Tajan, vente du 26 juin 2013 à Paris)
Source des images (2e ligne) : Agence photographique de la Rmn (Chantilly, musée Condé) ; La Gazette Drouot (Vente du 23 mars 2007, chez Millon) ; Drouot (Vente du 09 juin 2011 à Paris) ; Pousse Cornet Valoir (Vente du 8 novembre 2020 à Blois)
Source des images (3e ligne) : (Paris, musée Carnavalet) ; Agence photographique de la Rmn (Chantilly, musée Condé) ; Artnet.fr ; Vasari Auction (vente du 15 mars 2014 à Bordeaux)
Il existe encore d'autres portraits de ce type, mais sous forme de miniature, comme celles insérées dans le livre d'heures de Catherine de Médicis (ci-contre, premières images à gauche).
Source des images : (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; (New York, Metropolitan museum of art) ; Artcurial (Vente du 9 juin 2021 à Paris)
Portrait d'Henri III sculpté en 1585 par le graveur anversois Johannes Wierix
Source des images (Dessin de Johannes W.) : (Cambridge, The Fitzwilliam museum) ; (The Royal Collection). Source des images (Dessin de Jerôme W.) : Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; (Londres, British Museum) ; (The Royal Collection)
Ce chef-d'oeuvre témoigne de la virtuosité technique des hommes du nord. Le tirage conservé par The Royal Collection, a été édité en 1647, mais d'après la matrice gravée en 1585. Elle reprend avec beaucoup de précision le dessin de Dumonstier à l'exception que le pendant en forme de lambda (λ) n'a pas été représenté. L'observation de la marque blanche présente sur le revers du col laisse supposer que le lambda avait été dessiné et gravé sur la matrice, puis effacé. Pourquoi cet effacement ?
Selon Isabelle Hanquet, il n'existe pas de témoignage contemporain pour certifier que le roi portrait un lambda en pendant d'oreille. Sa présence sur le portrait officiel serait seulement symbolique.
Le pendant λ n'apparaît finalement sur aucune estampe, car c'est la gravure de Johannes Wierix qui va servir de modèle aux autres publiées après lui.
Parmi ses copieurs, se trouve son propre frère Jérôme (ou en latin Hiéronymus). Les deux estampes ne doivent pas être confondues (image ci-contre). Jérôme Wierix a repris la gravure de son frère, mais avec beaucoup moins de rigueur. Son dessin présente un visage plus idéalisé et par conséquent moins réaliste. Par ailleurs, Jérôme commet l'erreur de reproduire la troisième boucle d'oreille, alors que le lambda avait été effacé sur la matrice de la première. Henri III se retrouve donc affublé de trois boucles d'oreille, dont deux à vide.