Le montage des portraits au XIXe siècle (2)

La tête correspond au portrait du roi des années 1570, tandisque le vêtement correspond au portrait en pied du Louvre daté de 1566. Ce montage aurait pu passer inaperçu si l'artiste avait pris soin de coordonner le positionnement du corps. La tête est tournée à gauche et le corps à droite; ce qui donne un effet de collage qui nuit à la crédibilité du portrait.
Source : Base joconde (Château d'Eu)
Identification douteuse (4)
Voici un portrait que le site des Arts graphiques du Louvre identifie à Charles IX. Personnellement, je vois plutôt mal la ressemblance, notamment au niveau du nez. Le personnage a une tête beaucoup trop carrée. De plus, il est un peu trop âgé pour la date qui est donné au bas du dessin.
Les grandes erreurs
Je propose aujourd'hui d'évoquer les principales erreurs d'identification mises en exergue dans le blog. Il s'agit de six portraits représentant des Valois mais identifiés à la mauvaise personne.
Je reviens dessus car ce sont des portraits assez importants. Ils sont incontournables pour saisir l'iconographie des Valois et certains d'entre eux sont des oeuvres de maître. Il me semblait utile de rappeler la vigilance qu'il faut adopter à l'égard de chaque information trouvée sur une base de données mise en ligne même si celle-ci émane des institutions publiques. La recherche historique n'est qu'un cycle perpétuel de remise en question et je gage qu'il y a également sur le blog bien des choses qui pourraient être reprises.
Les quatre frères François II, Charles IX, Henri III et François d'Anjou ont été souvent confondus à cause de leur ressemblance physique. C'était bien le but de ce blog que de permettre à chacun de les différencier.
Le tableau ci-dessous présente les anciennes et les nouvelles identifications.
Éléonore d'Autriche (1498–1558)
Portrait de la fratrie Habsbourg
Éléonore d'Autriche appartient à la puissante famille des Habsbourg qui règne sur le duché d'Autriche. Elle-même est la fille de Philippe le beau souverain des Pays-Bas et de Jeanne d'Espagne héritière des royaumes de Castille et d'Aragon.
Elle grandit aux Pays-Bas avec son frère, le futur empereur Charles Quint.
Le tableau la représente avec ses soeurs cadettes mais la scène qui les représente ensemble n'est pas réaliste. Eléonore ne connaissait pas le petit Ferdinand et la petite Catherine qui étaient élevés en Espagne.
Source : Oronoz (Tolède, Musée de Santa cruz)
Portrait d'Eléonore, de son frère Charles et de sa soeur Isabelle
Le portrait a été tiré en 1502. Eléonore est représentée à l'âge de 4 ans, Charles 2 ans et Isabelle 1 an. Privés de leur parents, les petits ont grandi sous la tutelle de leur tante Marguerite (l'ex petite fiancée du roi Charles VIII). Ils furent élevés dans une culture de langue française héritée du défunt empire bourguignon.
Source : (Vienne, Kunsthistorisches museum)
Portrait d'Eléonore par Jean Gossaert en 1516
Jusqu'à ses 18 ans, Eléonore vit aux Pays-Bas. En 1517, son frère Charles quitte leur pays natal pour prendre possession de ses royaumes d'Espagne. Il embarque avec lui sa soeur qu'il souhaite faire épouser au roi du Portugal Manuel Ier.
Source : Wikimédia ( Massachusetts, Worcester Art Museum)
Le mariage d'Eléonore avec le roi du Portugal a lieu en 1518. Elle épouse un homme d'un âge avancé, déjà marié deux fois et père de plusieurs enfants.
Le tableau peint vers 1518 représente le roi Manuel et son épouse. Certains y voient Marie d'Aragon la deuxième épouse décédée en 1517, tandis que d'autres y voient Eléonore. De chaque côté sont représentés les enfants issus du second mariage du roi.
Bibli. : Annemarie Jordan et Kathleen Wilson-Chevalier, «L’épreuve du mécénat: « Alienor d’Austriche », une reine de France effacée ?», dans Patronnes et mécènes en France à la Renaissance (sous la direction de WILSON-CHEVALIER), Saint-Etienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2007
Source : Oronoz et Wikimedia (Porto, Santa Casa da Misericordia)
Portrait de François Ier et d'Eléonore
Après trois années de mariage et huit années de veuvage, Eléonore est mariée par son frère au roi François.
Leur mariage est l'aboutissement de la Paix des dames conclue pour l'établissement d'une paix durable entre Charles Quint et la France et pour obtenir la libération des deux petits princes français retenus en Espagne comme otage depuis plusieurs années.
Le tableau reflète une interprétation plutôt satirique du nouveau couple royal.
Portrait d'Eléonore d'Autriche par Joos Van Cleve
La reine Eléonore arrive en France en 1530. Elle est accompagnée de ses deux beaux-fils François et Henri. L'échange sur la Bidassoa est particulièrement tendu. Depuis que François Ier a manqué à sa parole, les Espagnols se méfient des Français. Le duc de Montmorency et le cardinal de Tournon attendent la reine et les anciens otages de l'autre côté de la frontière. Ils sont venus avec une rançon d'un million.
Le roi les attends à Bordeaux. Son mariage avec Eléonore a lieu quelques semaines plus tard. L'année suivante, la reine est sacrée à Saint-Denis.
Source : (The royal collection)
Le peintre hollandais Joos Van Cleve l'a représenté avec une coiffure et un costume de type ibérique qu'elle a en principe cessé de porter en s'installant à la cour de France.
Il en existe des copies et des variantes.
Source : (Vienne, Kunsthistorisches museum)
Source : Corbis (?) ; Rmn (Chantilly, musée Condé) ; Oronoz (Gaasbeek, musée du château)
Portrait d'Eléonore d'Autriche par Jean Clouet
Le portraitiste français a représenté la reine à son arrivée en France. Elle est encore habillée à la mode de son pays.
Le second portrait la représente dix ans plus tard environ. Elle est coiffée à la mode française.
Source : Rmn (Chantilly, musée Condé)
Source : Rmn (Chantilly, musée Condé)
Portrait d'Eléonore d'Autriche par Léonard Limosin
Eléonore fut une reine délaissée. François Ier la considérait comme la soeur de son ennemi. Il n'avait accepté ce mariage que pour l'établissement de la paix. La placidité de son épouse et la banalité de son physique ne pouvait que l'amener à entretenir d'autres femmes.
Eléonore fut toujours traitée avec la dignité de son rang mais pendant les dix-sept ans de son séjour à la cour de France, elle fut une reine très isolée.
Elle n'eut pas d'enfants de cette union et François Ier ne chercha pas spécialement à en avoir, ayant déjà eu sept enfants de son premier mariage.
Source : Rmn (Ecouen, musée national de la Renaissance)
Secundus liber tres missas continet
Il s'agit d'une gravure qui représente la participation de la famille royale à la messe. Face au roi se tiennent agenouillées les filles et la soeur du roi. Eléonore est représentée en haut de l'image en position dominante. Elle se distingue par son costume.
Source : Atlas de la Renaissance, Brepols, 1993 (Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek)
Bibli. : Annemarie Jordan et Kathleen Wilson-Chevalier, «L’épreuve du mécénat: « Alienor d’Austriche », une reine de France effacée ?», dans Patronnes et mécènes en France à la Renaissance (sous la direction de WILSON-CHEVALIER), Saint-Etienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2007
Portrait d'Eléonore par François Clouet vers 1547
A la mort de François Ier en 1547, Eléonore quitte la cour pour rejoindre son pays natal.
Le portraitiste l'a représenté une dernière fois ; elle est revêtue de ses habits de veuve : en blanc.
Le dessin a servi de modèle pour la miniature de livre d'heures de Catherine de Médicis. Eléonore est représentée au fond à gauche derrière ses belles-filles et la première épouse de son mari.
Source : Rmn (Chantilly, musée Condé)
Portrait d'Eléonore par Antonio Moro
C'est aux Pays-Bas qu'Eléonore passe ses dernières années. Elle vit aux côtés de sa soeur la gouvernante Marie de Hongrie. c'est là que le peintre flamand Antonio Moro lui dresse ce dernier portrait.
En 1556, a lieu la fameuse abdication de Charles Quint. L'empereur fait ses adieux à la Flandre et décide de finir ses jours dans un monastère en Espagne. Il emmène avec lui ses deux soeurs. Eléonore d'Autriche y meurt en 1558.
Le portrait d'Eléonore par Moro est aujourd'hui conservé au monastère des Déchaussées royales (monastère Descalzas), un couvent fondé par sa nièce Jeanne d'Autriche en 1559. Plusieurs membres de la famille des Habsbourg y sont passés après avoir fait voeux de vie consacrée. A l'image de Charles Quint, il existe chez les Habsbourg une vraie tradition familiale d'abandon du monde pour une vie monastique, austère et pieuse.
Le portrait a servi de modèle à la galerie de portraits de l'archiduc Ferdinand (illustration ci-contre).
Source : Oronoz (Madrid, monastère Descalzas) ; (Vienne, Kunsthistorisches museum)
Identification d'un double portrait : François II et le duc de Lorraine ?

Le tableau a été affublé de deux intitulés différents :
soit il s'agirait de deux enfants de François Ier : Henri d'Orléans (futur Henri II) et de son frère François (le dauphin).
soit il s'agirait de deux enfants d'Henri II : le dauphin François (futur François II) et de son frère cadet Charles-Maximilien (futur Charles IX).
J'émets de sérieux doutes quant à la première solution. Le costume que les enfants portent sur le tableau appartient davantage à l'époque Henri II qu'à celle de François Ier. On y voit des toques, des fraises et des hauts-de-chausses (les hauts-de-chausses ne se voient pas sous François Ier). Il est donc peu vraisemblable que le tableau représente les deux enfants de François Ier.
S'agit-il donc du futur François II et du futur Charles IX tels qu'ils étaient dans les années 1550 sous le règne de leur père, le roi Henri II ? Il semble ne pas y avoir d'inconvénient pour considérer que le personnage de gauche soit François II. Le prince possédait la même petite tête ronde. Par contre, si on considère l'âge des modèles, l'identification à François II et Charles IX ne tient pas. Les deux princes avaient 6 ans d'écart. Quand François II avait 12 ans, Charles IX n'en avait que 6. Or les deux princes représentés sur le tableau paraissent d'un âge quasi semblable.
De plus, si on considère que François II est le personnage de gauche, il n'est pas possible que l'autre soit Charles IX puisqu'à à cause de sa taille, il paraît légèrement plus âgé. Qui serait donc le personnage de droite ? Le tableau le représente avec une tête plutôt allongée et des yeux marqués.
Existe t-il un tel prince dans l'entourage du dauphin ?
Oui. Il y a Charles III, duc de Lorraine. Le très beau portrait qu'en a fait de lui François Clouet est très semblable à celui du prince représenté sur le double portrait.
Avant d'être marié à Claude et de devenir le gendre de Catherine de Médicis, Charles de Lorraine est un prince de la cour de France élevé dans l'entourage du dauphin. Il est son compagnon de jeux. Né en 1543, il a un an de plus que lui (ce qui coincide avec la taille sur le tableau).
Il n'est pas donc impossible que ce soit lui qui soit représenté sur le tableau. Charles était un personnage important de la cour. Etant le prince souverain du duché de Lorraine, il vient dans la hiérarchie juste après les frères du dauphin. Il vivait à la cour depuis ses 9 ans. En 1552, Henri II avait mis son royaume sous tutelle et l'avait emmené avec lui. En 1559, il en fit son gendre (dans l'objet de garder la Lorraine dans le giron de la France).
Source : Topofart (Wilton House, Collection of the Earl of Pembroke)
Source : Rmn (Chantilly, musée Condé)