L'avènement au trône de France (1574)
Portrait en émail d'Henri III, attribué à Bernard Limosin et aujourd'hui conservé au musée de Metz
Source de l'image : Exposition Fête et Crimes à la Renaissance: la cour d'Henri III de 2010 (localisation de l'oeuvre : Metz, musée de la Cour d'Or)
Ce très beau portrait en émail a retrouvé son identité à l'occasion d'une exposition consacrée à Henri III par le château de Blois en 2010 1. Une ancienne attribution l'identifiait au roi Charles IX. C'était évidemment une erreur ; les traits d'Henri III y sont aisément reconnaissables.
Henri monte sur le trône de France à la mort de son frère le 30 mai 1574. Le portrait en émail n'est pas daté, mais il pourrait représenter le roi à ce moment clé de sa vie. Du point de vue de la mode et de la physionomie, il se situe chronologiquement entre le portrait de Chantilly peint par Decourt vers 1570/72 (vu dans l'article précédent) et les portraits du début du règne (à voir dans l'article suivant).
Plusieurs portraits présents dans les collections européennes sont probablement contemporains à ce portrait. Les trois qui sont présentées ci-contre et ci-dessous, résultent d'un seul et même modèle mais diffèrent du dessin de Decourt.
Comme pour le portrait précédent en émail, les oeuvres ne sont pas datées ; elles pourraient tout aussi bien représenter le roi de Pologne en 1573 que le roi de France en 1574
La fraise est représentée plus large que sur les portraits précédents, mais plus étroite que les portraits du début du règne. Du point de vue de la mode, on peut donc chronologiquement placer ces images entre ces deux périodes, quand le duc d'Anjou devient roi ou s'apprête à le devenir. Le portrait du roi avec la plume rouge et son collier de perle est parfois attribué à Bartolomeo Passarotti (ci-dessous à gauche). Peut-être est-ce un portrait tiré lors du séjour italien d'Henri III.
On peut également remarquer l'improbable rangée de boucles d'oreille dans le portrait du musée Stibbert (ci-contre, à droite). Cette surenchère de bijoux, peu crédible, interroge quant à son origine et son authenticité.
Source des images : Albert and Victoria museum ; Bridgeman Images (Collection privée) ; Catalogue des Offices (localisation : Florence, museo Stibbert) ;
Portait du roi dans L'Arrivée d'Henri III à Venise peint par Andrea Vicentino vers 1593 et conservé au Palais des doges à Venise.
Le tableau représente l'accueil triomphal réservé à Henri III par les Vénitiens le 18 juillet 1574.
Quand il apprend la nouvelle de la mort de son frère, Henri III se trouve encore dans son royaume de Pologne. Le nouveau roi n'a aucune hésitation sur le choix à faire entre les deux trônes qui sont à lui. Il doit rejoindre la France au plus vite.
S'il choisit de faire le voyage de retour par l'Italie, c'est que lors de sa précédente traversée de l'Allemagne, il avait essuyé nombre de remontrance et de "leçons" de la part de ses hôtes protestants (à cause de l'indignation suscitée par le massacre de la Saint-Barthélemy). Sa sécurité était plus garantie s'il passait par l'Italie malgré la présence importance de l'ennemi espagnol.
Le séjour italien va durer deux mois pendant lesquels les cérémonies vont se succéder les unes après les autres. La plus importante et la plus grandiose est sans commune mesure celle que lui offrent les Vénitiens le 18 juillet 1574.
De ce passage vénitien, il subsiste plusieurs tableaux dont celui-ci qui orne encore le palais des doges. Il représente l'accueil fait au roi par le doge Alvise Ier Mocenigo. Le roi est en habit noir car il porte encore le deuil de son frère. La médaille de l’ordre de Saint Michel qui orne sa poitrine est le seul bijou de son habit.
La foule se presse autour du cortège ; les Vénitiens se sont déplacés en grand nombre pour apercevoir le roi. La ville s'est donnée les moyens pour recevoir le roi Très Chrétien avec faste. Son entrée à bord du Bucentaure est saluée par des salves d'artillerie et parmi les innombrables décorations, un arc de triomphe éphémère a été dressé sur son passage.
Source de l'image : (Venise, Palais des doges) ; liens vers les gravures : INHA ; Gallica
L'évènement a tellement marqué la Cité qu'on en peint encore des représentations une génération plus tard. Palma le jeune livre ainsi vers 1595 un tableau représentant le roi arriver au palais Foscari, qui est la demeure vénitienne où il séjourna. Le tableau semble s'inspirer de l'oeuvre de Vicentino, mais ici, le peintre met davantage en valeur les personnages ; à droite du doge sont notamment représentés deux personnalités importantes de l'entourage du roi (représentés en habit noir). Il s'agit au premier plan d'Alphonse d'Este, duc de Ferrare, le cousin italien du roi et au second plan, de Louis de Gonzague, duc de Nevers qui est son principal conseiller politique et le frère du duc de Mantoue.
L'oeuvre existe en plusieurs versions, dont l'une est aujourd'hui conservée à Dresde et l'autre au château d'Azay-le-Rideau.
Source de l'image : Canal Grande di Venezia (localisation : Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister ; Château d'Azay-le-Rideau, voir la notice du Centre des Monuments nationaux sur la base Regards)
Portraits d'Henri III peints d'après un dessin que Le Tintoret aurait exécuté sur le vif à Venise
Source de l'image de gauche : Conihout (et al.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris, PUPS, 2006 (localisation : Venise, palais des doges)
Source de l'image de droite : (Budapest, musée des beaux-arts)
Le séjour à Venise fut l'occasion pour Henri III de découvrir le savoir-faire exceptionnel de ses artisans et de rencontrer les grands maîtres vénitiens de son temps. Il rencontra ainsi le vieux Titien dans sa maison, il découvrit les palais de Palladio et se fit portraiturer par Le Tintoret.
La petit histoire dit que Le Tintoret avait dressé le portrait du roi à son insu. Pendant l'une de ses apparitions publiques à Venise, le peintre l'avait croqué en catimini. Quelques jours après, il fut présenté au roi avec le tableau terminé. Ceci ne manqua pas de surprendre Henri III. On sait d'après un document d'archives que suite à cette rencontre, le roi commanda au Tintoret trois autres tableaux 2. Par ailleurs, il est vraisemblable que plusieurs portraits étaient été commandés par les Vénitiens pour commémorer la visite du roi. Actuellement, l'un de ces portraits se trouve toujours au palais des doges, un autre est conservé à Budapest. On peut penser qu'il en existe dans d'autres collections encore non formellement identifiés. La diffusion du portrait royal par la gravure, montre que celui-ci rencontra un grand succès.
Portrait d'Henri III gravé par Cesare Vecellio pendant le séjour du roi à Venise
Source et localisation de l'image : The Royal Collection
Selon la notice de la Royal Collection, où cette gravure est conservée, il s'agit d'une oeuvre réalisée dans un délai très court puisqu'elle a été publiée deux semaines seulement après l'entrée du roi à Venise. Comme pour Le Tintoret, il s'agit d'attirer l'attention du roi sur le savoir-faire vénitien, mais aussi de faire partager le plus rapidement l'actualité majeure du moment.
Le portrait n'est pas sensationnel ; c'est pourtant l'un des tout premiers d'Henri III imprimés et diffusés. Il donne du roi une image très curieuse. L'artiste italien n'a pas retranscrit l'habit avec fidélité car il semble l'avoir interprété selon le goût italien. Par maniérisme, le cou est allongé et le bonnet semble aussi volumineux que la tête. Le résultat donne à la figure un caractère plutôt précieux.
La gravure de la Royale Collection serait le seul exemplaire susbsitant connu à ce jour. Il existe toutefois une variante en allemand dont les tirages se retrouvent dans plusieurs collections européennes (ci-contre). Cette variante a été tirée la même année, preuve en est de son succès en Europe. Celui-ci montre l'engouement suscité par l'avènement du nouveau roi de France.
Arnaud Du Ferrier l'ambassadeur de France à Venise l'évoque dans une lettre à Catherine de Médicis :" Il [le roi] a donné une si grande espérance de sa grandeur et contentement à tout le monde que chacun a voulu avoir un portrait pour si mal fait que ce soit" 4.
L'image a ensuite été reprise de façon maladroite dans d'autres variantes ou dans des frontispices d'ouvrages 3 (série de portraits ci-dessous).
Source et localisation des images (de gauche à droite) : ScalaArchives ou Gallica ou Österreichische Nationalbibliothek ; La Malcontenta ; Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; Gallica (BnF) ; The Royal Collection
Voir également SKDmuseum (Dresde, Münzkabinett) ; Gallica ; Gallica ;
Portrait en pied d'Henri III imprimé par Hans Liefrinck
Source et localisation de l'image : (Chantilly, musée Condé)
C'est finalement un artiste du nord de l'Europe qui propose le portrait gravé le plus vraisemblable. Dans cette estampe de Liefrinck, les traits d'Henri III sont plus reconnaissables et les formes de la fraise ou de la toque sont plus authentiques.
L'imprimeur anversois maintient toutefois une composition assez classique ; la pose du roi renvoie aux portraits en pied de Charles IX ; la main est posée sur une chaise et un rideau sert de décor.
Par ailleurs, l'habit porté par le roi est à la mode des années 1570, or ce style est déjà en train de passer. A la cour de France, la mode est très changeante, et cette image du roi sera vite bonne à être oubliée (les cheveux seront relevés par-devant la toque, la fraise allongée en plateau, le pourpoint aiguisé au panseron, et le haut-de-chausses raccourci, puis applati).
Portrait d'Henri III probablement peint vers 1574
Source de l'image : Bonhams (Vente du 14 septembre 2022 à Londres)
Ce portrait exceptionnel est apparu sur le marché de l'art en 2022. La notice l'attribue à l'école de Clouet mais peut-être vaudrait-il plutôt l'attribuer à celle de Jean Decourt.
La question de la datation est la même que pour les portraits peints vus précédemment. Le roi est ici représenté dans une mode qui est celle du milieu de la décennie. La fraise continue de se développer et de s'élargir de façon évasée (dans une forme qui se voyait déjà sur le portrait de Charles IX à Versailles). Il est probable que ce portrait ne représente pas Henri le duc d'Anjou, mais Henri roi au moment de son départ en Pologne, ou plus vraisemblablement après son retour en France en septembre 1574.
Le degré de luxe avec lequel le prince est habillé renvoie aux témoignages de ses contemporains sur la préciosité du roi.
Monté sur le trône à l'âge de 23 ans seulement, Henri III est critiqué dès le début de son règne pour son indolence et sa frivolité. Henri III traîne au lit le matin, aime se parer avec éclat et montre une santé plutôt médiocre qui rend perplexe les observateurs étrangers sur les capacités du jeune homme à régner.
Elevé dans la tradition humaniste propre aux Valois, Henri maîtrise l'art de s'exprimer en public. Mais sa capacité à paraître en société cachait difficilement la faiblesse de son caractère ; les plus médisants disaient que c'était de la sottise, les autres que c'était de la bonté. Henri III était un homme doux de tempérament, mais inexpérimenté et influençable. Bien que sa mère l'exhortait à se placer au-dessus des partis et à aimer tous ses sujets quels qu'ils soient, Henri III montrait une certaine perméabilité aux malignités de la cour.
Portrait équestre du roi Henri III probablement peint à son avènement vers 1574
Source de l'image : Agence photographique de la Rmn (localisation : Chantilly, musée Condé)
Après plusieurs mois d'absence, Henri III est de retour en France. Il a traversé les Alpes et a rejoint la cour venue à sa rencontre à Lyon. Ce tableau de petite taille se rapporte peut-être à cette période.
Le mur en ruine pourrait évoquer l'état de misère dans lequel se trouve le royaume, après plusieurs années de guerre civile. Le roi apparaît devant le mur comme celui qui va le faire oublier. A l'avènement d'Henri III, la France se trouve être encore en plein conflit ; le roi a pardonné à son frère François et à son beau-frère le roi de Navarre qui avaient comploté contre lui durant son absence, mais les protestants continuent de résister dans de nombreuses régions.
Pour abattre ses ennemis, Henri III opta d'emblée pour une politique de fermeté. Il tenta de soumettre les rebelles du Languedoc et du Dauphiné en lançant une double offensive diplomatique et militaire. Mais ce fut un échec ; il n'y avait pas assez d'argent dans les caisses de l'Etat pour soutenir l'effort de guerre. Dès le commencement, son règne s'annonçait difficile.
La datation que je propose pour ce portrait repose sur les mêmes dispositions vestimentaires et physionomiques que le portrait précédent. Henri III porte un costume qui fait la transition entre la mode de son règne et celle de son prédécesseur.
La physionomie juvénile du roi renforce la datation proposée. Son visage est exactement le même que celui des portraits du début du règne (voir article suivant). La richesse du costume quadrillé de perles, est la marque d'un moment important. En ce milieu des années 1570, il n'y a que l'avènement du roi qui puisse lui donner l'occasion de se faire représenter ainsi.
Médaille réalisée par Duprè d'après une oeuvre de Germain Pilon réalisée pour l'avènement d'Henri III sur le trône de France
Source de l'image et localisation de l'oeuvre : Havard Art Museum ; voir l'exemplaire du British museum ; Gazette Drouot (Crait-Muller, vente du 5 février 2021)
Ce portrait fait apparaître le changement de mode qui s'opère au tout début du règne d'Henri III. La toque disparaît derrière la tête, la plume qui l'orne est déplacée au centre dans l'axe du visage et la fraise s'élargit.
Dans l'histoire du costume, ce portrait montre la transition entre deux modes, celle de la cour de Charles IX et celle de son successeur Henri III.
C'est un élement de datation important pour comprendre ce portrait en bronze, car il appartient à une série de médaillons dont l'attribution à Germain Pilon est régulièrement remise en cause. Faute de pouvoir dater précisément l'oeuvre, les historiens ont émis plusieurs hypothèses qui en font une production ultérieure (sous Henri IV) 5. Or, la perfection de concordance entre l'habit représenté et la mode de l'époque montre qu'il s'agit bien d'une oeuvre du début du règne de Henri III. Compte tenu du cadre contraignant que représente la surface d'un médaillon, c'est une prouesse artistique que d'être parvenu à créer ce réalisme documentaire. Un artiste du XVIIe siècle n'aurait jamais pu faire ce travail, à défaut de connaissance de l'histoire du costume.
Le sacre d'Henri III à Reims, crayon d'Antoine Caron conservé au musée Le Vergeur à Reims
Source de l'image et localisation : (Reims, Musée Le Vergeur)
La scène représente la communion du roi au corps du Christ, alors qu'Henri III est déjà oint et revêtu de sa couronne et de son manteau d'hermine à fleur-de-lys. Dans le contexte des guerres de religion, cette image entend rappeler qu'en France, le roi est catholique. Ce ne sont ni son onction, ni son couronnement qui sont représentés, mais sa soumission au Seigneur Rédempteur représenté par le Saint Sacrement.
Cette image en dit long sur ce qu'est la monarchie française et comment Henri III entend montrer l'importance qu'il donne à la tradition.
Notes :
1. L'hypothèse d'une date de création vers 1575 est formulée par Pierre-Gilles Girault ; Fêtes et crimes à la renaissance : la cour d'Henri III, Paris, Somogy, 2010, p. 84.
2. P. CHAMPION, Henri III, roi de Pologne, Paris, Grasset, 1951, p. 84.
3. Voir Anna Bettoni, « Les coronationi de Pietro Buccio et le passage du roi en Vénétie; 1574 », in Isabelle de Conihout, Jean-François Maillard et Guy Poirier (dir.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris, PUPS, 2006, pp. 110-120
4. P. CHAMPION, Henri III, roi de Pologne, Paris, Grasset, 1951, p. 97.
5. L'attribution à Germain Pilon de la série de médaille en bronze des Valois est régulièrement remise en question. G.BRESC-BAUTIER (dir.), Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, Paris, La documentation française, 1993, p. 47, 146-153.
Article modifié en octobre 2012, en août 2018, en 2021