Le roi adolescent (1566-1570)
Portrait de Charles IX aujourd'hui conservé à la fondation Bemberg à Toulouse et son pendant dessiné par François Clouet entre 1566 et 1569, conservé au musée de l'Ermitage
L'historique de ce très beau dessin a été reconstitué par l'historienne Alexandra Zvereva1 ; le portrait a été dessiné une première fois par François Clouet en 1566, puis, trois ans plus tard, l'artiste a profondément retouché son oeuvre pour vieillir les traits de l'adolescent ; il a également modifié le costume pour mettre le portrait à la mode de l'époque, rendant la toque emplumée plus bouffante.
Le tableau peint, conservé à Toulouse, fait apparaître les mains du personnage, derrière un rebord peint en trompe-l'oeil. Il s'agit de mettre en scène le prince et rendre le portrait plus vivant. C'est une schéma de représentation traditionnel déjà expérimenté dans le grand portrait de François Ier conservé par le Louvre.
Il existe de ce portrait plusieurs reprises et répliques d'atelier dont les plus connus sont ceux qui le représentent en pied (dont celui du Kunsthistorisches museum, voir ci-dessous). Il existe également à la bibliothèque de Genève un très beau portrait inspiré par le crayon de Clouet (ci-dessous à droite).
Source des images (1ère ligne) : (Saint-Petersbourg, musée de l'Ermitage) ; Agence photographique de la Rmn (Toulouse, Fondation Bemberg)
Source des images (2e ligne) : Agence photographique de la Rmn (Chantilly, musée Condé) ; (Paris, Bibliothèque nationale de France) ; (Oxford, Ashmolean museum)
Source des images (ci-contre) : (Bibliothèque de Genève)
Portrait en pied de Charles IX peint par François Clouet en 1569 et aujourd'hui conservé au Kunsthistorisches museum
Source de l'image : (Vienne, Kunsthistorisches museum)
Le tableau a été envoyé comme cadeau de fiançailles à la cour impériale, dans le cadre des négociations avec l'empereur Maximilien d'Autriche pour le mariage de sa fille Elisabeth avec Charles IX 2.
Il s'agit d'un très grand et beau tableau (224 x 116,5 cm), qui présente une grande richesse de détails dans le costume. On remarquera ici la grosseur des hauts-de-chausses qui atteignent leur taille maximale dans la seconde moitié des années 1560.
Le visage n'a pas le même traitement que le costume. Il s'agit probablement de deux peintres différents qui y ont travaillé. Il était fréquent pour un artiste de faire réaliser son tableau par les ses élèves de son atelier.
Le musée Condé et le musée du Louvre conservent deux répliques de petite taille, qui ne dépassent pas les 30 cm.
Source des images : Agence photographique de la Rmn (Paris, musée du Louvre) ; Agence photographique de la Rmn (Chantilly, musée Condé)
Le musée de Turin conserve une variante de grande taille tout aussi intéressante (196 x 99 cm) (image ci-contre). Le visage est le même, mais la posture et le costume diffèrent sensiblement. La fraise est plus épaisse et le bonnet plus volumineux ; du point de vue de la mode, l'oeuvre est légèrement plus tardive.
Le fait que le tableau soit actuellement conservé dans une galerie d'art piémontaise, héritière des collections ducales, laisse supposer que le tableau a été envoyé par la reine Catherine à son beau-frère le duc de Savoie.
Il est le témoin des démarches entreprises par la reine-mère pour marier son fils à une princesse européenne.
Source de l'image : Catalogo Galleria Sabauda (Turin, Galerie Sabauda)
Portrait de Charles IX peint dans l'atelier de François Clouet vers 1570 et aujourd'hui conservé au musée Condé à Chantilly
Source de l'image : Agence photographique de la RMN (Chantilly, musée Condé)
Le portrait a toujours pour modèle le dessin de l'Ermitage, mais se distingue par des modifications au niveau de la pilosité et du costume.
Le jeune roi arbore une petite moustache et des poils de barbe qui contribuent à rendre son visage d'adolescent plus mûr. Le costume a également évolué ; il est plus sobre que le précédent, mais le changement à souligner se situe dans la fraise et le chapeau qui ont légèrement pris du volume (fraise plus haute, et bonnet plus bouffant), montrant une mise à jour du portrait en fonction de la mode du moment. C'est également le premier portrait où Charles IX porte une boucle d'oreille
Le vieillissement du roi correspond à la volonté du jeune roi de paraître plus mature. Pour l'historienne Alexandra Zvereva, les précédents portraits peints dans le courant de l'année 1569, avaient laissé le roi insatisfait. Souverain d'un royaume où son autorité est sans cesse bafouée, Charles IX était soucieux de donner de lui une image plus virile.
Le conflit fratricide de la troisième guerre de religion oblige la couronne, à donner une image d'elle, qui soit fidèle à l'esprit de justice et de fermeté qu'elle entend incarner. Pour le jeune roi, c'est peut-être aussi une manière de répondre à son frère, Henri d'Anjou, élevé au rang de héros militaire après ses victoires sur les protestants à Jarnac et à Moncontour (1569). Prédisposé à la jalousie, Charles IX cherchait à renforcer son charisme pour contrer la gloire de son frère.
Un portrait vendu chez Tajan en 2005 (image ci-contre) présente une troisième version peinte du dessin de l'Ermitage. Au premier abord, le tableau semble être une reprise du portrait en buste de Toulouse : les mains sont posées sur le rebord (alors qu'elles étaient absentes du tableau de Chantilly), la fraise est ouverte sur le devant, et le roi ne porte pas de boucles d'oreille. En revanche, le traitement du visage est le même que celui du tableau de Chantilly : le roi porte la barbe et les traits y sont plus accentués.
Comment le compendre ? Je propose l'explication suivante ; à l'origine, le tableau de Tajan n'était qu'une reproduction du tableau de Toulouse, mais une décision royale lui fit changer de trajectoire. Le roi exigea de son peintre d'être représenté plus mature. Les modifications ont pu être apportées alors que l'oeuvre était peut-être déjà en cours d'exécution. Sur le plan chronologique, le tableau de Tajan serait donc une étape intermédiaire entre celui de Toulouse et celui de Chantilly.
Source de l'image : Tajan (vente du 21 juin 2005 à Paris)
Portrait de Charles IX, conservé dans les collections du château de Versailles
Source de l'image : Agence photographique de la Rmn (Versailles, musée national)
Du fait de son appartenance à la collection publique des musées français, c'est le plus connu des portraits de Charles IX.
La disposition originale des perles sur la toque et la forme évasée des tuyaux de la fraise ne le permet pas de le relier directement aux portraits précédents. L'atelier de François Clouet offre à travers cette peinture une quatrième version du portrait dessiné par le maître.
Les traits du visage sont bien les mêmes que le dessin de l'Ermitage, mais en plus prononcés. Le visage du roi a encore été vieilli. Le costume appartient à la mode des années 1570. Peut-être a t-il été peint vers 1572, à la même période que le portrait tiré par Decourt. Il s'agirait alors du dernier portrait peint de Charles IX sorti de l'atelier de François Clouet avant le décès de ce dernier (voir article suivant).
Portrait de Charles IX conservé au musée des beaux-arts d'Agen
Le portrait d'Agen propose une toute autre combinaison (image ci-contre à gauche). C'est celui d'un jeune homme barbu, habillé d'une fraise haute, dans un style qui le rattache davantage à la mode des années 1570.
Sa confrontation avec les portraits précédents le fait classer à part ; il ne semble pas appartenir à l'atelier de François Clouet. Le roi porte une barbe fournie, mais apparaît beaucoup plus jeune que sur le portrait de Chantilly ; en revanche, son habit, est d'un style plus tardif et donc plus moderne. En somme, c'est comme si les têtes n'étaient pas avec les bons costume. Comment le comprendre ?
La clé d'interprétation se trouve peut-être dans un dessin de Hans Liefrinck (ci-dessus à droite). Le portrait d'Agen s'en rapproche par le costume, la naïveté juvénile du visage et enfin, par la forme de la moustache (qui est recourbée vers la bouche au lieu d'être orientée vers la joue comme sur les portraits issus du modèle clouetien).
Liefrinck est un artiste et un éditeur flamand qui a fait imprimer plusieurs portraits de rois de France. Celui qu'il propose pour Charles IX n'est que la reprise du modèle imposé par Clouet, mais avec une caractéristique propre à Liefrinck qui est l'air ingénu qu'il confère à ses modèles ; le roi a un visage enfantin. Le tableau d'Agen reprend ce portrait, sans prendre en compte le changement adopté précédemment par le roi, ce qui crée cette légère incohérence dans l'iconographie évolutive de Charles IX : le tableau d'Agen présente un visage juvénile, alors qu'en France, la volonté royale était de paraître plus mature.
Le portrait de Liefrinck a fait l'objet de plusieurs gravures dont l'une le représente en pied (ci-contre). La représentation du costume que porte le roi porte est conventionnelle. Elle porte le témoignage d'une époque, mais peut-être pas de la tendance du moment.
Source des images : Facebook du musée d'Agen (Agen, Musée des Beaux-arts) ; (Londres, British Museum) ; (Londres, British museum) ou (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek) ou Agence photographique de la Rmn (Chantilly, musée Condé)
Représentation de Charles IX à l'âge de 18 ans, sur une gravure de Mathias Zundt datée de 1568
Source de l'image : Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France)
Le jeune roi est représenté comme un chef de guerre, revêtu de son armure et tenant ses attributs royaux. Ce n'est pas un véritable portrait. L'artiste est un imprimeur allemand de Nuremberg. Il cherche moins à retranscrire les traits physiques du jeune prince, qu'à valoriser le prestige de son pouvoir temporel.
De plus, la gravure représente le roi comme un enfant plutôt qu'en jeune adulte. C'est le cas des autres portraits gravés du roi édités à la même époque. Dans une gravure de Liefrinck, représentant le roi en pied, l'artiste s'est contenté de reprendre une ancienne gravure de François II. Le roi est alors représenté comme un adolescent (ci-dessous).
C'est peut-être, en réaction contre ces images venues de l'étranger que le roi Charles IX avait exigé de ses portraitistes d'être représenté plus viril.
Les représentations de Charles IX gravées à l'étranger sont rarement de véritables portraits. Il faut attendre l'avènement de son règne personnel pour voir émarger une image plus fidèle.
Source des images : (Amsterdam, Rijkmuseum) ou (Londres, British museum) ; Gallica (Paris, Bibliothèque nationale de France) ou (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek) ; (Londres, British museum)
Notes
1. Alexandra ZVEREVA, Portraits dessinés de la cour des Valois. Les Clouet de Catherine de Médicis, Arthena, Paris, 2011, p. 366.
2. Alexandra ZVEREVA, Le Cabinet des Clouet au château de Chantilly, Nicolas Chaudun, 2011, p. 27-28, 118-119, p. 150.