Vente d'un faux portrait d'Henri III et de son présumé mignon
En 2018, apparaît sur le marché d'art, le double portrait d'Henri III et de l'un de ses favoris Paul Stuart de Caussade, marquis de Saint-Mégrin, mort en 1578. L'oeuvre est mise en vente par la galerie Art Antiquities Investment sur le Marché Biron.
Aussi étonnant qu'improbable, ce double portrait contient plusieurs incohérences qui permettent de douter de son authenticité. L'analyse du costume et la comparaison iconographique conduisent à affirmer que c'est un faux, ce que vient appuyer le vente d'un portrait identique chez Piasa en 2013.
Portrait double d'Henri III et Saint-Mégrin vendu au Marché Biron
Portrait d'Henri III vendu chez Piasa en 2013
L'analyse du costume
L'étude vestimentaire de ces portraits permet de constater que leur auteur ne connaît pas bien la mode du XVIe siècle. Plusieurs élements du costume représentés n'existaient pas sous le règne d'Henri III.
La première incohérence se trouve dans la représentation des crevés, ces petites fentes pratiquées dans l'étoffe des vêtements. Au début du règne, ils se présentent sous la forme d'une série parallèle de plusieurs grandes ouvertures verticales, puis évolue dans une suite de petits crevés alignés par bandes superposées (voir illustrations ci-dessous). Or, dans les deux portraits d'Henri III, les deux crevés sont répartis, chacun isolément, de part et d'autre des boutons de fermeture. Leur rôle est mal compris.
L'autre élément tient dans le fait que chacun de ces crevés laisse apparaître une doublure dorée mal représentée, faisant penser à une bande de galon. Cette erreur est particulièrement visible dans le portrait vendu chez Piasa en 2013 (ci-contre). Décorer le rebord des crevés d'un galon d'ornement procède d'un manque de connaissance sur la mode du XVIe siècle.
Plus invraisemblable est la coiffe du favori. Saint-Mégrin porte une coiffure relevée en hauteur, sembable à celles que portent les dames dans les années 1580. Sous Henri III, les hommes avaient eux-aussi les cheveux relevés au-dessus du front, mais ici, la forme est celle de la coiffure en ratepenade que portent les femmes. Rien ne peut justifier que le mignon du roi soit officiellement peint coiffé comme une femme.
Quant au bandeau dorée peint au sommet de la tête de Saint-Mégrin, c'est une invention du peintre. Il n'en existe aucune représentation sur les portraits de cour de l'époque, que ce soit homme ou femme.
Type de crevés vers 1575 (grandes entailles verticales) :
Type de crevés vers 1580 (bandes superposées de petits crevés alignés) :
La comparaison iconographique et physionomique
Le portrait d'Henri III semble être une interprétation libre du modèle établi par Decourt en 1576 (illustration ci-dessous à gauche). La reprise est maladroite. Dans le double portrait, la barbe est beaucoup trop fournie pour être crédible ; elle ne s'accorde pas avec le bouc peint sur le menton. Conformément à l'iconographie d'Henri III, le personnage porte une mouche de poils sous les lèvres. Mais ici, cette mouche est aussi dense qu'un bouc et elle est accompagnée d'une barbe dont les poils sont beaucoup trop développés sur le contour des joues. Du coup, le bouc perd tout son sens (le peintre aurait du choisir ; bouc et barbe ensemble ne s'accordent pas).
Quant à la moustache, elle appartient à la mode des années 1980, et non à celle des Derniers Valois. Sous Charles IX et Henri III, la moustache se porte relevée. Tous les portraits d'Henri III le représentent ainsi, même quand les poils de la moustache sont très légers.
Quant au portrait de saint-Mégrin, il semble être inspiré du portrait de Henri de Guise (illustration ci-dessous à droite). Sont identiques plusieurs traits du visage, la position du corps et la représentation du pourpoint (qui est sans crevés).
La moustache relevée d'Henri III sur le portrait de Quesnel :
Illustrations : Saint-Mégrin (musée du Louvre), Henri III, d'après Decourt (Kunsthistorisches museum) et Henri de Guise (musée de Versailles)
L'incohérence chronologique
Ce qui permet de confirmer le caractère faux de la peinture, c'est sa similarité avec le portrait vendu chez Piasa en 2013. Le rendu du pourpoint (dans le traitement des galons), et des perles du collier est trop identique au premier portrait pour que l'on ne puisse pas affirmer que c'est un seul et même artiste qui les a peints. Par ailleurs, les mêmes erreurs vestimentaires s'y retrouvent.
Ce qui intéressant dans le rapprochement des deux tableaux, c'est qu'il permet de mettre à jour leur incohérence chronologique. Du point de vue de la mode de la fraise, le portrait de Piasa aurait été peint vers 1570 et celui vendu par la galerie Art Antiquities Investment vers 1580. Dix ans séparent les deux formes de fraise. Pourtant, de façon très curieuse le pourpoint et le collier n'évoluent pas. Ils sont identiques. Il est invraisemblable que pour une aussi si longue durée, les deux prototypes présentent exactement le même type de vêtement.
Conclusion
Les erreurs d'intérprétation du costume et leurs incohérences temporelles montrent que les tableaux vendus par la galerie Art Antiquities Investment et Piasa ne sont pas des tableaux du XVIe siècle. On est donc en présence d'une série de peintures réalisée par un artiste probablement admirateur d'Henri III.
La façon d'inventer une image très féminine pour représenter le mignon et d'associer ce dernier à celle du roi montre qu'il y a peut-être de la part de l'auteur, une volonté de créer une image à connotation homosexuelle sur la relation entre Henri III et son favori. Ce double portrait ne témoigne donc pas de l'amour fraternel du roi pour son favori, mais du fantasme qu'un artiste projette sur la bisexualité présumée du roi.
Enfin, ces tableaux sont très loin d'être d'une indéniable qualité artistique, comme il est affirmé sur le site commercial de vente et n'ont rien à voir, sur le plan pictural, avec les oeuvres de Clouet, Decourt ou Dumonstier que chacun peut admirer au musée du Louvre ou ailleurs.
Source : Article de vente du portrait sur le Marché Biron
Addendum : antérieurement à cette vente, le portrait d'Henri III avait été vendu le 27 mars 2018 par Cornette de Saint-Cyr, qui l'avait daté de 1650 environ. Article de vente chez Cornette de Saint-Cyr.